1) La réalité : survivre dans un métier qui s’épuise
La situation des agriculteurs français n’est plus seulement une série de faits économiques : c’est une crise sociale et humaine. Derrière les discours politiques et les images « épiques », des exploitations ferment, des dettes s’accumulent et des familles vivent dans l’angoisse d’un avenir incertain. En 2023, le nombre de défaillances d’entreprises agricoles en France a atteint des niveaux préoccupants : on compte plus d’un millier de dépôts de bilan au cours de l’année. Ces fermetures concernent tant les cultures que l’élevage, et elles laissent souvent des dettes lourdes pour les exploitants restants.
Sur le plan économique, la fragilité est visible dans les indicateurs de résultat des exploitations. Après des années d’aléas climatiques, de variations de prix et d’augmentation des charges (énergie, intrants, matériel), l’Excédent Brut d’Exploitation moyen des exploitations a baissé fortement en 2023 : l’EBE a reculé d’environ 25 % par rapport à 2022, réduisant la marge de manœuvre financière des agriculteurs. Parallèlement, l’endettement moyen des exploitations reste élevé : selon des séries statistiques récentes, la dette moyenne d’une exploitation professionnelle dépasse les 200 000 €, un montant bien plus important qu’il y a quelques décennies et difficile à supporter quand les revenus sont volatils.
Cette précarité économique a des conséquences humaines lourdes. Les études montrent que les personnes affiliées au régime agricole présentent un risque de mortalité par suicide significativement plus élevé que la population générale un sur-risque qui a été mesuré et documenté par la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Les services d’écoute et d’accompagnement (comme Agri’écoute) signalent des milliers d’appels chaque année et des situations de burn-out, d’exclusion sociale et de détresse psychologique croissantes. Ces chiffres et constats illustrent qu’on ne parle pas ici d’un simple problème d’entreprise : c’est une souffrance individuelle et familiale qui se répand dans les territoires ruraux.
« On se sent en échec et on ne peut en parler à personne », dit un agriculteur rencontré par des associations d’aide — la solitude et la honte sont souvent au cœur du mal-être. Des associations comme Solidarité Paysans racontent des situations où l’éleveur perd progressivement le contrôle : endettement, pression sociale, difficultés à payer les fournisseurs, isolement des familles rurales. D’autres reportages donnent la parole à des vignerons ou éleveurs qui expliquent comment une mauvaise saison, un prix d’achat trop bas ou une dette imprévue ont précipité la chute d’une exploitation qu’ils croyaient pourtant durable.
- ~1 288 défaillances d’entreprises agricoles en 2023 (fermetures, redressements et liquidations).
- Dette moyenne par exploitation professionnelle : autour de 200 000 € (ordre de grandeur statistique récent).
- Baisse de l’EBE en 2023 d’environ 25 % par rapport à 2022, amputant la capacité d’autofinancement.
- Sur-risque de mortalité par suicide dans le régime agricole par rapport à la population générale ; la MSA documente cette vulnérabilité.
2) Pourquoi le gestionnaire de patrimoine peut être utile à un agriculteur ?
À première vue, le métier d’agriculteur et la profession de gestionnaire de patrimoine semblent appartenir à deux mondes très différents : le premier est manuel, soumis aux saisons et aux marchés ; le second est souvent perçu comme urbain, financier et éloigné des réalités rurales. Pourtant, face aux difficultés précédemment décrites, l’appui d’un gestionnaire de patrimoine (conseiller financier spécialisé) peut devenir un levier concret pour protéger l’agriculteur, sa famille et la pérennité de l’exploitation. Voici pourquoi, en trois axes pratiques.
Protection de l’exploitant et de sa famille en cas d’accident ou de faillite
L’un des premiers apports d’un gestionnaire de patrimoine est l’analyse et la mise en place d’une protection sociale et patrimoniale adaptée : assurances prévoyance (incapacité, invalidité), assurance décès-invalidité, garanties pour préserver le conjoint et les enfants, couverture des prêts professionnels et personnels. Dans des situations où une maladie ou un accident met l’exploitant hors d’état de travailler, ces dispositifs évitent la bascule immédiate vers le surendettement et protègent le patrimoine personnel (logement familial, placements).
Concrètement, un conseiller peut :
- identifier les lacunes de couverture (garanties trop faibles ou absentes),
- proposer des contrats adaptés à l’activité agricole (prévoyance professionnelle, assurances récolte ou BCA selon les filières),
- organiser la protection juridique (séparation entre patrimoine professionnel et personnel, structure sociétaire adaptée).
En cas de faillite ou de procédure collective, la structuration préalable du patrimoine (via sociétés civiles, démembrements, etc.) peut limiter l’exécution sur le patrimoine personnel du chef d’exploitation et préserver la sécurité économique de la famille.
Générer des revenus complémentaires et restaurer le pouvoir de négociation
Quand l’exploitation est exposée à des chutes de revenu saisonnières ou conjoncturelles, disposer de revenus externes réguliers change tout. Un gestionnaire de patrimoine peut bâtir une stratégie d’épargne et d’investissement (contrats de capitalisation, assurance-vie, placements diversifiés, revenus fonciers maîtrisés) permettant à un agriculteur d’obtenir un complément de revenu pendant les « mauvaises années ».
Pourquoi c’est important : avec des revenus complémentaires, l’exploitant dispose d’un coussin financier qui réduit la pression de trésorerie, permet de refuser des conditions de reprises commerciales défavorables et améliore sa posture lors de négociations (banque, coopérative, fournisseurs). À long terme, cela contribue aussi à la résilience économique de l’exploitation et à la qualité de vie de l’exploitant.
Le gestionnaire peut, par exemple, conseiller :
- des solutions d’épargne longue (assurance-vie multi-supports, contrats de capitalisation pour entreprise,PEPS),
- la constitution d’un portefeuille prudent pour générer des flux distribuables,
- l’articulation entre placement personnel et besoins de l’entreprise pour optimiser liquidités et fiscalité.
Alléger la fiscalité quand l’agriculteur commence à percevoir des revenus réguliers
L’agriculture est un secteur soumis à des règles fiscales particulières (bénéfices agricoles, dispositifs de report, exonérations selon la nature des terres, etc.). Mais dès lors que l’exploitant parvient à dégager des revenus réguliers hors exploitation (revenus de placements, cessions, immobilier), la gestion fiscale devient une priorité. Un gestionnaire de patrimoine exerce un rôle-conseil précieux : optimiser l’imposition (dispositifs d’amortissement, exonérations, donations/ transmission), arbitrer entre placements imposés différemment et proposer des solutions pour réduire fiscalement les flux au profit de la sécurité familiale.
L’accompagnement porte notamment sur :
- l’optimisation de la répartition entre placements soumis à l’impôt sur le revenu et placements exonérés ou différés,
- la mise en place de mécanismes de transmission (donation progressive, démembrement, envellopes fiscales) pour préparer la relève en limitant les droits dus,
- la coordination avec l’expert-comptable et l’avocat fiscaliste.
Le gestionnaire de patrimoine n’est pas une baguette magique : il ne remplace pas des mesures sectorielles (prix d’achat équitables, politiques publiques, mécanismes de soutien) et ne peut pas effacer un endettement structurel trop élevé sans restructuration préalable. Son efficacité dépend de l’honnêteté du diagnostic et de la capacité de l’exploitant à consacrer une partie de ses revenus à la protection et à l’épargne. Enfin, les solutions proposées doivent être adaptées au profil de risque et à la filière : l’accompagnement agricole exige donc des conseillers connaissant le monde rural. (caisse coopérative d'aquitaine).
Un duo nécessaire : solidarité sociale et ingénierie patrimoniale
La souffrance des agriculteurs en France est un problème multidimensionnel : économique, social, psychologique. Si les réponses publiques et collectives restent indispensables (soutien aux prix, dispositifs d’aide, prévention du suicide), il existe aussi des réponses individuelles et techniques capables d’alléger des trajectoires : la protection sociale renforcée, la constitution de revenus complémentaires et l’optimisation fiscale. Le gestionnaire de patrimoine, loin d’être un acteur superficiel, peut apporter des outils concrets et souvent sous-estimés pour restaurer une stabilité familiale et économique, améliorer la résilience des exploitations et redonner à l’agriculteur une plus grande liberté de négociation face aux aléas.