Quand on dépose de l’argent à la banque, on imagine souvent que celle-ci se contente de prêter cet argent à d’autres clients. En réalité, le système bancaire fonctionne d’une manière bien plus complexe et fascinante.
Les banques ne prêtent pas seulement l’épargne qu’elles détiennent : elles créent de la monnaie à travers le crédit.
Mais alors, jusqu’à quel point peuvent-elles prêter ? Dix fois ? Vingt fois ? Cent fois leur volume d’épargne ?
Pour comprendre cela, il faut plonger dans le cœur du système monétaire moderne et découvrir comment la monnaie circule, se multiplie et se régule.
D’où vient la monnaie ?
La monnaie circule partout dans l’économie : dans nos comptes bancaires, nos paiements par carte, nos salaires, nos achats.
Mais il existe deux grandes sources de création monétaire :
- La banque centrale (comme la Banque centrale européenne, BCE) crée la monnaie centrale, utilisée entre les banques et l’État.
- Les banques commerciales créent la monnaie scripturale, celle que nous utilisons au quotidien.
Chaque fois qu’une banque accorde un prêt, elle crée de la monnaie nouvelle.
Prenons un exemple simple :
Vous demandez un prêt de 10 000 € pour acheter une voiture.
La banque ne prend pas 10 000 € sur le compte d’un autre client.
Elle crédite votre compte de 10 000 € et inscrit ce montant à son bilan.
Cette écriture comptable représente une nouvelle création monétaire.
Lorsque vous rembourserez ce crédit, la monnaie sera détruite : la création monétaire fonctionne comme une respiration, avec des flux permanents de création et de destruction.
Le rôle des dépôts : la base de la confiance
Si la banque peut créer de la monnaie, c’est parce que les clients lui font confiance.
Les dépôts des épargnants constituent une base de stabilité : ils garantissent que la banque dispose de liquidités suffisantes pour répondre aux retraits et aux paiements.
Mais attention : les banques ne gardent pas 100 % de ces dépôts disponibles.
Une partie est utilisée pour les besoins quotidiens, et une autre doit être conservée sous forme de réserves obligatoires auprès de la Banque centrale.
Les réserves obligatoires : une contrainte clé
Les réserves obligatoires sont une fraction des dépôts que chaque banque doit garder “en sécurité” à la Banque centrale.
En zone euro, ce ratio a longtemps été de 1 % des dépôts.
Cela signifie que pour 100 € déposés, la banque doit conserver 1 € en réserve et peut, en théorie, prêter les 99 € restants.
Ces réserves servent à garantir la liquidité du système bancaire et à réguler la création monétaire.
La BCE peut ajuster ce ratio pour freiner ou encourager le crédit :
- Si elle augmente le ratio, les banques peuvent prêter moins → le crédit ralentit.
- Si elle le baisse, les banques peuvent prêter plus → le crédit se développe.
Le mécanisme du multiplicateur de crédit
C’est ici qu’intervient la fameuse question : combien de fois une banque peut-elle prêter son volume d’épargne ?
Pour le comprendre, il faut visualiser le mécanisme du multiplicateur de dépôts :
- Un client dépose 1 000 € dans une banque.
- La banque garde 1 % en réserve (10 €) et prête 990 €.
- Ces 990 € sont ensuite déposés dans une autre banque.
- Cette seconde banque garde 1 % (9,90 €) et prête 980,10 €, et ainsi de suite.
Si l’on poursuit ce raisonnement, la création monétaire totale atteindra environ 100 000 € à partir d’un dépôt initial de 1 000 €.
C’est ce qu’on appelle le multiplicateur monétaire théorique, basé sur le ratio de réserves.
Avec 1 % de réserves, le multiplicateur est de 1 / 0,01 = 100.
En théorie, cela signifie que le système bancaire peut prêter jusqu’à 100 fois le montant de ses réserves.
Mais attention : ce modèle est théorique. En pratique, le système bancaire est beaucoup plus encadré.
La réalité moderne : Bâle III, fonds propres et ratios de liquidité
Depuis la crise financière de 2008, les règles du jeu ont profondément changé.
Les banques ne sont plus seulement limitées par leurs réserves obligatoires, mais surtout par leur capacité à absorber les risques.
Les ratios de solvabilité (fonds propres)
Les accords internationaux de Bâle III et IV imposent aux banques de disposer d’au moins 8 % de fonds propres par rapport à leurs actifs risqués.
Concrètement, pour 100 € de prêts, la banque doit avoir au moins 8 € de capital réellement disponible.
Cela limite la prise de risque excessive et protège les déposants.
Les ratios de liquidité
Les banques doivent également respecter deux ratios clés :
- Le LCR (Liquidity Coverage Ratio) : elles doivent avoir suffisamment d’actifs liquides pour faire face à 30 jours de stress financier.
- Le NSFR (Net Stable Funding Ratio) : elles doivent garantir une structure de financement stable sur le long terme.
Le ratio de levier
Ce ratio empêche une banque d’avoir un bilan trop gonflé par rapport à ses fonds propres.
En général, une banque peut avoir un levier de jusqu’à 33 fois ses capitaux propres.
Donc, combien de fois une banque peut-elle prêter son volume d’épargne ?
En combinant tous ces éléments, on peut résumer ainsi :
En pratique, une banque européenne peut donc prêter entre 10 et 20 fois son volume d’épargne ou de fonds propres, selon sa solidité financière, son profil de risque et la réglementation nationale.
Exemple concret simplifié
Imaginons une banque disposant de :
- 10 millions d’euros de dépôts,
- 1 million d’euros de fonds propres.
Avec un ratio de solvabilité de 8 %, elle peut théoriquement prêter :
1 000 000 € ÷ 0,08 = 12,5 millions d’euros de crédits.
Mais elle devra respecter en parallèle :
- Les ratios de liquidité (LCR, NSFR),
- Les limites de concentration de risques,
- Les contraintes internes de gestion prudentielle.
Ainsi, le plafond réel est souvent inférieur à la limite théorique.
C’est ce qui explique que les banques prêtent rarement “au maximum” de leur capacité.
Pourquoi ce système fonctionne : la confiance et la régulation
Le système bancaire repose sur un équilibre délicat entre création monétaire et contrôle des risques.
La monnaie que nous utilisons n’a de valeur que parce que :
- Nous avons confiance dans les banques ;
- Les banques ont confiance entre elles ;
- Et toutes font confiance à la Banque centrale.
La BCE joue un rôle essentiel :
- Elle fixe le taux directeur qui influence le coût du crédit.
- Elle peut injecter ou retirer des liquidités via des opérations de refinancement.
- Elle contrôle la stabilité du système à travers la supervision bancaire.
En période de crise, la BCE peut par exemple baisser ses taux ou acheter des obligations pour soutenir le financement de l’économie.
Inversement, si l’inflation augmente trop vite, elle resserre sa politique monétaire pour freiner la création de crédit.
Un système en évolution : digitalisation et nouveaux acteurs
Aujourd’hui, la création monétaire n’est plus le monopole des grandes banques traditionnelles.
Les néobanques, plateformes de financement participatif et fintechs transforment le paysage financier.
Certaines proposent des crédits, d’autres facilitent les paiements ou l’épargne, mais toutes dépendent encore du système bancaire pour la monnaie centrale (celle créée par la BCE).
Demain, avec l’arrivée de l’euro numérique, le rôle des banques pourrait encore évoluer.
Les particuliers pourraient détenir directement des comptes en monnaie centrale, ce qui modifierait la logique du multiplicateur monétaire.
Mais une chose restera vraie : le crédit restera un moteur essentiel de la croissance économique, et sa régulation un enjeu majeur pour la stabilité collective.
Un équilibre entre puissance et prudence
Les banques possèdent un pouvoir considérable : celui de créer de la monnaie et donc de stimuler l’économie réelle.
Mais ce pouvoir est encadré par des règles strictes qui visent à éviter les excès et à protéger les épargnants.
En théorie, une banque pourrait prêter jusqu’à 100 fois ses réserves, mais dans la réalité moderne, les contraintes de solvabilité et de liquidité réduisent cette capacité à 10 ou 20 fois au maximum.
Ce système repose sur un équilibre subtil entre création et contrôle, confiance et responsabilité.
C’est grâce à cette architecture que nos dépôts, nos crédits et nos investissements peuvent circuler en toute sécurité au sein d’une économie complexe, mais résiliente.