Il m’arrive de pester contre l’État, les banques, les administrations. Trop d’impôts. Trop de paperasse. Trop de complexité. J’ai l’impression que tout est conçu pour me compliquer la vie, pour me prendre ce que je gagne à la sueur de mon front. Alors je m’énerve, je râle, je me plains. C’est plus simple que de se poser des questions.
Avec le temps, pourtant, un doute s’est immiscé en moi.
Je dis que je paye trop d’impôts… mais je refuse qu’on m’explique comment fonctionne réellement le système fiscal. Je me dis que “de toute façon, c’est truqué”, alors pourquoi écouter ?
Je dis que je manque d’argent… mais à chaque fois qu’une personne compétente me parle d’organisation ou de gestion, je ferme la porte. Je me méfie. Je me dis que si quelqu’un me conseille, c’est forcément qu’il essaie de gagner quelque chose sur mon dos.
Je critique l’État quand je dois régler une succession. Je répète que « on m’a tout volé lorsque j’ai hérité ». Je dis que le système est injuste, que tout a été confisqué. Pourtant, je ne fais rien aujourd’hui pour anticiper et protéger mes propres enfants. Je préfère me dire que « c’est comme ça » plutôt que de m’informer, d’organiser, ou simplement d’ouvrir la discussion. Je laisse le hasard décider, puis je m’étonne des conséquences.
Et puis il y a l’immobilier. Je me plains que « le marché est truqué », que « je ne pourrai jamais acheter ». Je répète que tout est trop cher, qu’on ne laisse aucune chance aux gens comme moi. Pourtant, il existe des financements avantageux, parfois moins coûteux que mon loyer actuel. Mais au lieu d’explorer, je me ferme.
Je préfère dire que c’est impossible, que le système est bloqué, que tout est joué d’avance. C’est plus simple de se plaindre que de faire un premier pas. Je critique les banques dès qu’on me parle d’épargne. Je critique les professionnels du droit ou de la finance dès qu’ils utilisent des mots que je ne comprends pas. Et comme je ne comprends pas, je me braque.
Au fond, je veux le contrôle. Mais je refuse l’apprentissage.
Je préfère dire que tout est injuste, que les autres ont des privilèges, que le système est verrouillé. C’est rassurant : si tout est foutu d’avance, je n’ai rien à faire. Je n’ai pas à me remettre en question.
Alors je reste là, à mi-chemin entre frustration et inertie.
Je me sens victime d’un monde dont je ne maîtrise pas les codes, tout en refusant obstinément de les apprendre.
Et un jour, une question s’impose, discrète mais lourde :
Et si je participais moi-même à ma propre impasse financière ? Pas par bêtise. Pas par manque d’intelligence.
Juste par peur : peur de ne pas comprendre, peur de se tromper, peur de perdre.
Il est tellement plus facile de critiquer que d’explorer. Peut-être que je n’ai pas été saboté par le système. Peut-être que je me suis saboté moi-même en restant immobile.