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Gestion d’actifs en France : entre concentration et conquête internationale

2 octobre 2025 par
Gestion d’actifs en France : entre concentration et conquête internationale
caissecooperativedaquitaine

Le secteur français de la gestion d’actifs vit une période charnière. Face à la montée en puissance des géants américains comme BlackRock ou Vanguard, les acteurs hexagonaux s’organisent pour défendre leur place et gagner en compétitivité. Les projets de fusion et de rapprochement se multiplient, redéfinissant les équilibres au sein du marché européen. Derrière cette course à la taille se cachent des ambitions claires : conquérir de nouveaux clients, renforcer la résilience face aux crises financières et capter davantage l’épargne des ménages et des investisseurs institutionnels.

Amundi : le géant français qui mise sur la diversification et la scale economy

Amundi est aujourd’hui l’acteur de référence en France et l’un des plus grands gestionnaires d’actifs en Europe. Avec un AUM record de ≈ 2 267 milliards € fin juin 2025, le groupe revendique une capacité d’investissement et une échelle opérationnelle qui lui offrent des avantages clairs en matière de coûts, d’accès aux marchés privés et de distribution. about.amundi.com+1

Ambitions : Amundi vise à renforcer sa position dans les solutions long terme (retraites, épargne salariale), les actifs privés (infrastructure, private equity, dette privée) et l’ESG. Sa stratégie combine croissance organique (innovation produits, distribution digitale), et selective bolt-ons dans des niches où la taille n’est pas le seul critère — la spécialisation et la connaissance sectorielle comptent aussi.

Implication marché : Amundi bénéficie d’un effet « aimant » sur les clients institutionnels européens qui recherchent des partenaires capables d’assumer le rôle de gestionnaire global. Pour ses concurrents français, Amundi fixe une référence : sans scale, il devient difficile d’être compétitif sur certaines classes d’actifs exigeantes en capital humain et technologique.

Natixis Investment Managers (Groupe BPCE) : croissance internationale et opportunités liées à un rapprochement majeur

Natixis IM, filiale du groupe BPCE, est un acteur majeur avec une vaste palette de marques affiliées. Ses AUM consolidés avoisinent ≈ 1 260–1 361 milliards € selon les périmètres et conversions rapportés en 2025. Le groupe met l’accent sur la distribution mondiale et le renforcement de ses capacités en alternatives et solutions pour les clients institutionnels. im.natixis.com

Ambitions : Natixis cherche à accélérer sur les marchés anglo-saxons et nord-américains, tout en consolidant son offre de private assets. Le modèle multi-boutique (plusieurs marques spécialisées sous un même toit) reste central : il permet à Natixis d’offrir diversité et spécialisation tout en mutualisant les fonctions supports.

Rapprochement stratégique : En janvier 2025, BPCE et Generali ont annoncé un projet de création d’une nouvelle entité d’actifs combinant Natixis Investment Managers et Generali Investments, visant environ 1,9 trillion € d’AUM — un champion européen par revenus et un poids lourd mondial. Ce rapprochement, présenté comme un « joint venture » équilibré, illustre la logique de consolidation pour atteindre la scale critique sur la scène globale. Mais l’opération doit franchir de nombreuses étapes réglementaires et faire l’objet d’arbitrages politiques (intérêt national italien, approbations d’actionnaires). generali+1

AXA Investment Managers & BNP Paribas Asset Management : un deal qui redessine la carte européenne

L’année 2025 a été marquée par une opération majeure : BNP Paribas a finalisé l’acquisition d’AXA Investment Managers pour près de 5,1 milliards €, créant ainsi l’un des plus grands gestionnaires d’actifs en Europe avec un AUM combiné dépassant 1 500 milliards €. Ce rapprochement change la donne sur plusieurs axes : renforcement dans la gestion pour les assureurs/pensions, développement des ETF et amplification des capacités dans les actifs privés. Reuters+1

Ambitions côté BNP : devenir un leader européen à l’échelle globale dans la gestion d’actifs, capable d’offrir une gamme complète (fonds en euros/dédiés, solutions de retraite, ETFs, private assets) et de capter les flux de l’épargne long terme. L’intégration d’AXA IM permet à BNP d’accélérer sur des marchés où AXA IM avait des positions fortes (fonds pour assureurs, expertise actions et multi-actifs).

Enjeux : l’opération pèse sur le capital (impact CET1) et nécessite des dialogues rapprochés avec les superviseurs. Pour le marché, elle illustre la logique « winner takes more » : concentration, économies d’échelle, mais aussi risques d’augmentation du pouvoir de marché des grands groupes. Reuters

BPCE + Generali : construire un champion paneuropéen (et affronter des résistances politiques)

Le projet annoncé entre BPCE (Natixis IM) et Generali vise explicitement à créer un leader d’ampleur européenne (≈ 1,9 trillion € d’AUM). Le dessein est clair : mutualiser les forces en Europe (France, Italie) et aux États-Unis pour construire un ensemble capable de rivaliser avec Amundi, les grands groupes anglo-saxons et les mastodontes asiatiques. generali+1

Ambitions : taille, diversification géographique, leadership sur les produits pour assureurs et retraites, et développement de l’exposition aux actifs privés. Le projet promet des synergies substantielles (200 M€ d’économies attendues sur 5 ans selon les communiqués), mais il est soumis à validation des autorités et des principaux actionnaires, particulièrement en Italie où la préservation des intérêts nationaux pèse fort. Reuters

Risques & limites : opposition d’actionnaires, contrôle réglementaire transfrontalier, sensibilité politique (protection des épargnes domestiques), et complexité d’intégration d’un vaste portefeuille de marques et cultures d’entreprise.

BNP Paribas Asset Management : consolidation, distribution et montée en puissance sur le long terme

Outre l’acquisition d’AXA IM, BNP Paribas AM affiche des ambitions lourdes : capter les flux d’épargne long terme, offrir des solutions ESG et private assets, et s’appuyer sur la distribution globale du groupe BNP. Les résultats semestriels 2025 témoignent d’un renforcement des AUM et des activités de gestion privée. invest.bnpparibas+1

Ambitions : développer la clientèle institutionnelle (assureurs, fonds de pension), étoffer l’offre ETF et multi-actifs, et renforcer la gestion d’actifs alternatives. L’enjeu est aussi de traduire la taille en compétitivité : réduire les coûts unitaires de gestion, investir dans les plateformes technologiques et les données, et accélérer l’accès aux investissements privés.

Carmignac et La Française : champions de la spécialisation et de l’indépendance

Les sociétés indépendantes françaises comme Carmignac et La Française jouent un rôle complémentaire : certes plus modestes en AUM que les géants, elles misent sur la performance active, la spécialisation (fixed income, private assets, strategies alternatives) et une forte identité de marque.

  • Carmignac a développé une offre réputée en actifs diversifiés et en gestion active; sa notoriété institutionnelle reste élevée, notamment en fixed income. Carmignac

  • La Française a renforcé sa gamme dans l’infrastructure, le private equity et l’immobilier, développant des partenariats pour accroître sa capacité d’investissement. la-francaise.com

Ambitions : ces acteurs veulent rester pertinents par la différenciation produit (qualité de stock-picking, niches privates, solutions sur-mesure), tout en explorant des alliances sélectives pour booster la distribution ou l’accès à certains marchés privés. Leur modèle : performance + brand = pouvoir de négociation face aux grands groupes.

Tendances communes et forces motrices de la consolidation

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi les fusions et rapprochements sont si présents aujourd’hui :

  • Recherche d’économies d’échelle : la gestion d’actifs est une industrie où la taille réduit les coûts unitaires (technologie, conformité, distribution).

  • Accès aux actifs privés : infrastructures, private equity et dette privée réclament des masses critiques pour investir directement et déployer du capital.

  • Pression sur les marges : montée du passive et compression des frais poussent à mutualiser les coûts.

  • Réglementation et gouvernance : la complexité réglementaire incite à mutualiser les fonctions de conformité et de reporting.

Ces tendances expliquent les initiatives de géants comme Amundi, BNP et BPCE, mais ouvrent aussi des opportunités pour les spécialistes indépendants qui savent apporter de la valeur hors-prix : expertise sectorielle, sourcing privé, ou stratégies thématiques qui séduisent clients fortunés et institutions.

Les freins à la consolidation : régulateurs, souveraineté et intégration culturelle

Les rapprochements massifs se heurtent à des obstacles non négligeables :

  • Enjeux réglementaires et capitalistiques : les autorités (banques centrales, régulateurs nationaux) examinent l’impact sur la stabilité financière et les ratios prudentiels des banques-mères (ex. impact CET1 chez BNP après l’acquisition d’AXA IM). Reuters+1

  • Sensibilité politique / souveraineté : les rapprochements transfrontaliers (ex. BPCE + Generali) rencontrent des réticences politiques — la France et l’Italie observent de près la protection des intérêts nationaux, notamment en matière d’épargne retraite domestique. Reuters

  • Intégration culturelle : fusionner des boutiques multi-marques suppose d’harmoniser des cultures d’investissement souvent très distinctes — un défi opérationnel majeur.

Quelles conséquences pour les clients et le marché français ?

Pour les investisseurs institutionnels et particuliers, la consolidation peut apporter des bénéfices tangibles : accès facilité aux actifs privés, produits plus complets, plateformes technologiques renforcées. Mais il existe aussi des risques : concentration du marché, pression sur les prix des services de gestion active, et dépendance accrue à des acteurs dominants.

Pour la France, la montée en puissance de champions européens (Amundi, BPCE/Generali, BNP post-AXA IM) renforce l’empreinte du pays dans la gestion d’actifs mondiale, mais elle exige vigilance : préserver la concurrence, garantir des conditions d’accès pour les PME et veiller à la qualité de la gouvernance.

la taille comme moyen, pas comme fin

La recomposition du paysage de la gestion d’actifs française est un mouvement structurel. Les rapprochements en cours, qu’il s’agisse de l’acquisition d’AXA IM par BNP, du projet BPCE-Generali, ou de l’essaimage d’Amundi, illustrent une logique : atteindre une taille critique pour rester compétitif sur la scène internationale. Reuters+2generali+2

Pour autant, la « taille » ne garantit pas automatiquement le succès : l’intégration, la gouvernance, la capacité à préserver la spécialisation des boutiques et l’alignement avec les besoins des clients seront déterminants. Les prochaines années marquées par la validation (ou non) des projets annoncés, les arbitrages réglementaires et la capacité des acteurs à innover dessineront une nouvelle cartographie européenne de la gestion d’actifs.

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